Nedim Gürsel pour le printemps de la littérature turque

Nedim Gürsel… derrière ce sourire charmeur et ces beaux yeux bleus se cache une vie de souffrance et d’exil. Mais vous ne l’entendrez pas s’exprimer comme ça. J’interprète, je lis entre les lignes. Parce que Nedim Gürsel c’est l’évidence de la lutte et la résilience de l’écrivain.

Il le dit lui-même, « J’ai une grande capacité d’adaptation ». Il le faudra bien…

Né en 1951 à Gaziantep en Turquie, il grandit dans la ville de province de Balıkesir, bercé par les contes traditionnels de sa grand-mère, « déplacée » de Roumélie (les Balkans ottomans). Ses parents sont professeurs, elle de mathématiques et d’astronomie, lui de français. Mais surtout son père traduit les auteurs français en turc. Il grandit donc entouré de livres, d’écrivains, avec le bruit permanent de la machine à écrire de son père.

Lorsque son père obtient sa mutation tant attendue pour Istanbul, celui-ci meurt soudainement dans un accident de la route. La douleur est double: l’absence de son père et l’enfermement en tant d’interne au lycée Galatasaray d’Istanbul. Cet isolement se ressent très bien dans son roman « Le fils du capitaine », où il découvre aussi la camaraderie et la sexualité.

C’est dans ce lycée que Nedim Gürsel se plonge dans l’écriture. Il y apprend le français, lit les grands auteurs, romanciers et poètes, et écrit lui-même ses premiers textes et poèmes. À la sortie du lycée, c’est un de ces textes qui lui vaudra sa première poursuite par l’état. Sympathisant d’extrême gauche, très politisé, il est inscrit à l’université d’Istanbul quand a lieu le coup d’État militaire de 1971. Pour un article sur Gorki comparé à Lénine il est menacé de sept ans de prison. Il s’exile en France grâce à une bourse du gouvernement français. Après une dure année à Poitiers, il continue ses études de Lettres modernes à Paris et présente une thèse en littérature comparée sur Aragon et le grand poète communiste Nazim Hikmet.

S’il se sent parisien, Nedim Gürsel reste un Turc en exil et son amour pour Istanbul ne diminue pas. Il y retourne souvent mais doit s’y tenir régulièrement éloigné au fil des procès qui le menacent: « Un long été à Istanbul » de 1976 est récompensé, puis condamné après le coup d’État de 1981 pour « diffamation contre l’armée turque »; « La première femme », de 1983, accusé d’avoir offensé la morale publique; « Les filles d’Allah », de 2009, accusé de « dénigrement des valeurs religieuses de la population » alors qu’Erdoğan est Premier ministre et continue de défendre la laïcité de la Turquie. Des parties de son roman sont transformées pour porter ces accusations.

Mais Nedim Gürsel défend vivement la liberté d’expression, d’opinion politique et dans « Le fils du capitaine », de 2016, il n’hésite pas à écorcher l’image du président turc, omniprésent et omniscient. Pour lui, le pouvoir politique n’a pas à dicter aux citoyens ce qu’ils doivent boire, manger, porter, penser. Il s’inscrit dans une longue lignée d’intellectuels, écrivains et journalistes, constamment poursuivis et emprisonnés par les pouvoirs politiques successifs de Turquie et s’inquiète de l’autocensure que lui dicte parfois la peur. Peur d’être arrêté. Peur de ne plus jamais pouvoir voir Istanbul. Peur de croupir en prison comme des centaines d’autres intellectuels avant lui.

Il est depuis de longues années à Paris, où il enseigne la littérature turque à l’Institut national des civilisations orientales, mais il écrit toujours ses romans en turc. La France est sa patrie d’accueil, mais la Turquie est sa patrie de coeur.

Qu'en dites vous ?

En savoir plus sur Les Carpenters racontent

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture