Ce paysage chaotique me plonge dans de lointains souvenirs. Je n’étais pas revenu ici depuis quinze ans. Peut-être vingt. Rien n’a changé. Les rochers qui déchirent les vagues. La grève esseulée et triste. Un ciel gris à perte de vue.

J’étais ado. Avec maman et Eddie, mon frère, on venait ici tous les étés. On défaisait nos valises le 3 juillet et on les remballait le 31 aout. Maman était instit’. 

Malgré l’eau froide, Eddie et moi passions nos journées sur cette plage. Lui lisait. Balzac, Stendhal, Zola… Les grands, les classiques. Moi je n’y comprenais rien à ces choses là, je préférais ma planche de surf. Elle m’avait couté un nombre incalculable de pelouses tondues. Pour me faire rentrer il fallait se lever tôt !

J’avais 14 ans. J’étais téméraire, intrépide. Ce jour là, il faisait gris comme aujourd’hui. Les vagues étaient puissantes et rapides. Idéales ! J’entends encore maman : « Ce n’est pas judicieux d’y aller par ce temps, le vent est violent. Tu iras demain. Reste un peu avec nous. ». Des vagues j‘en avais mâtées des plus grosses. Je fis la sourde oreille et partis bille en tête. J’ai glissé de la planche. Cela faisait quelques semaines que j’avais des picotements dans les pieds. Je les sentais moins bien. J’étais sûr que ça allait passer, j’étais fait de bois dur. Aujourd’hui je ne sens plus rien. Je me suis brisé l’échine sur ces rochers qui déchirent les vagues. Ils m’ont déchiré moi aussi.