« Moi, ce que j’aime, c’est les monstres », Emil Ferris, 2018, Monsieur Toussaint Louverture

Fin des années 60, Karen, 10 ans, habite un quartier chaud de Chicago, avec sa mère et son grand frère, dans un appartement en sous-sol.

Un matin, Madame Anka, une voisine, meurt d’une balle dans le cœur. La thèse du suicide ne convainc absolument pas Karen, qui décide de mener l’enquête à la manière d’un privé.

Elle plonge alors dans le passé sordide de la prostitution du Berlin des années 20 et au sort réservé aux prostituées par les nazis, dans les camps de concentration et l’esclavage sexuel.

En parallèle de son enquête, Karen raconte sa mère, si merveilleuse, si perchée, si malade.

Elle raconte son frère double facette, cœur tendre et petite frappe du quartier, qui l’a initiée au dessin et à l’art dès le plus jeune âge.

Elle raconte le monstre qu’elle est, fille dans le mauvais corps, sans père, monstre aux yeux des bien-pensants, préférant se voir en loup-garou vengeur.

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Le monstre est une métaphore tout au long de l’ouvrage: monstres gentils, les exclus de la société, homosexuels, pauvres, juifs, malades, étrangers, prostituées…; et monstres terribles, les vrais méchants.

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L’entrée dans ce roman graphique est déstabilisante, tant par l’histoire que par la noirceur de ses dessins, mais plus on avance, plus on est ferré: on a un potentiel meurtre sans assassin, un assassin sans victime, des démons du passé qui refont surface, un terrible secret de famille… les mystères se superposent et rendent cette lecture addictive tant le scénario est bien ficelé.

L’histoire à elle seule aurait sans aucun doute eu sa place dans les romans noirs, mais le travail titanesque d’illustration l’inscrit dans les incontournables du genre et en fera, à ne pas douter, un ouvrage culte qu’il est urgent de vous procurer.

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C’est un « livre premier » et, frustration intense, il nous faudra attendre le « livre second » pour connaitre la fin.

Comptez sur moi Madame Ferris, vous m’avez hameçonnée, je vous lirai et j’attends la suite avec impatience!

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Emil Ferris est une survivante: à force de persévérance, elle a récupéré son corps devenu inutile à la suite d’une méningite gravissime; son manuscrit a été refusé 48 fois avant d’être édité par Fantagraphics aux États-Unis en 2017. Elle est traduite en France par Jean-Charles Khalifa et publié par l’excellente maison d’édition de Dominique Bordes.

Quel flair!

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