V., née en 72, grandit dans un milieu intellectuel parisien, où les parents se déchirent avec une extrême violence; sa mère finit par l’élever seule alors qu’elle n’a que 5 ans.
V. n’aura de cesse d’essayer de créer des liens avec son papa, jusqu’à l’attendre des heures dans les restaurants ou les cafés où il lui pose perpétuellement des lapins, la laissant désespérée et humiliée.
Elle se réfugie dans les livres, la littérature et dans les déambulations parisiennes, se trouve laide, insignifiante, échange peu avec des jeunes de son âge.
Alors quand G.M., la cinquantaine, beau, brillant écrivain, à la masculinité débordante, s’intéresse à elle, du haut de ses 13 ans, V. tombe littéralement amoureuse. Leur « merveilleux » amour va commencer de la manière la plus romanesque: des échanges de lettres, des rendez-vous secrets, de tendres câlins.
À 14 ans, V. est ferrée, le monstre la tient, la descente aux enfers commence. Certes, pas tout de suite, il y aura quelques mois de pure idylle, à peine réprouvée par maman. Mais assez vite V., qui, dans sa quête de bonheur, a oublié d’être idiote, va prendre la mesure de la manipulation dont elle est l’objet et se rebeller. Mais le mal est fait, V. est détruite.
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À nous de rendre Vanessa Springora, qui a toutes les qualités littéraires d’une grande autrice, plus célèbre que ne l’a un jour été cette raclure de Matzneff!
Le recul de Vanessa Springora sur cette histoire est admirable: après une longue reconstruction, un travail sur soi, des études littéraires et en psychologie humaine, elle dresse un portrait du manipulateur, explique parfaitement les mécanismes de l’emprise et pose la question du consentement d’une adolescente, d’une personne fragile en matière de rapports sexuels.
À l’heure où la parole est aux victimes, même si cette parole est encore dénigrée par une grande partie de la population, voire ignorée, souvent sous couvert d’art, de notoriété, de pouvoir ou tout simplement de suprématie masculine, il est plus que nécessaire de faire du bruit autour de ce genre d’ouvrages.
Parce que non, on ne sépare pas l’homme de l’artiste, comme on ne sépare pas la femme de la victime. La vie de l’homme s’est nourrie de sa victime pour créer: en abusant de ces dizaines d’enfants, qu’il allait abuser jusqu’en Malaisie, Matzneff produisait de nouveaux écrits, recevait la reconnaissance de ses pairs, était invité sur les plateaux de télévision et percevait de l’argent. Tout ceci, sommes-nous bien d’accord, allait à l’homme autant qu’à l’artiste.
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Je suis née la même année que Vanessa Springora, j’ai grandi dans le même milieu, j’ai déambulé dans les mêmes rues au même âge, j’ai fréquenté les mêmes cafés avec les copains… mais j’avais un papa! Un papa qui me disait, quand j’écoutais Vanessa Paradis et Elsa, « Mais qu’est-ce que c’est que ces minettes pour vieux libidineux?! ».
Il vomissait Matzneff et toute sa clique bobo-intello. Pour lui, ses deux filles, on n’y touchait pas! Alors qu’on arrête de dire que c’était « dans l’air du temps ». Ce temps, c’est le mien et celui de mes parents. Ces gens sont justes des salauds, qui fantasmaient eux aussi sur les jeunes filles et les jeunes garçons, mais laissaient chastement Matzneff passer à l’acte. Même Pivot, dans sa célèbre émission littéraire s’en amusait: « Vous êtes un sacré collectionneur de minettes!! » Et Matzneff de s’expliquer: « Une fille très jeune est plutôt plus gentille même si elle devient très vite hystérique et aussi folle que quand elle sera plus âgée »…
Seule une voix s’est élevée sur ce plateau de télévision, celle de la Québécoise Denise Bombardier. Elle s’est faite traiter le lendemain de « mal baisée » et subira des mois de harcèlement jusque chez elle au Québec.
Lisons son livre, parlons-en encore et encore.