L’escarpin assassin – Histoire courte

L’escarpin assassin

« Ce soir, on dîne chez Biren. Tu te souviens. Fais-toi belle, c’est mon plus gros fournisseur et j’ai d’importants contrats à négocier avec lui.

– …

– Du noir sexy… Biren n’aura d’yeux que pour toi. 

– …

– Cette combinaison décolletée jusqu’à tes reins. Tes escarpins noirs si élégants…»

Elle se raidit. Imperceptiblement.

Il fallait retrouver l’escarpin, il en allait de sa vie et de celle de ses filles.

Comment avait-elle pu être si stupide, si imprudente ? Des mois qu’elle gardait ce secret, qu’elle menait cette double vie. Elle touchait à son but. Tout allait être ruiné à cause d’une malheureuse chaussure ! Comment pouvait-il les aimer ? Il n’avait décidément aucun goût, aucune classe. Ces escarpins n’avaient pour eux que leur prix : 360 euros !

Elle retournerait sur la plage en fin de matinée. Elle était sûre d’être tranquille vu le vent marin glacé qui soufflait aujourd’hui.

Elle descendit comme à son habitude à 9h00, le peignoir de soie légèrement ouvert, nue dessous et lui caressa l’épaule. Il leva la tête de sa tablette et de ses graphiques pour lui lancer un regard de contrôle, même plus excité. Elle était sa chose.

Elle s’assit, laissant son déshabillé s’ouvrir sur ses seins. Se servit un café. But et attendit. S’il en avait envie, il la prendrait là puis partirait à ses affaires.

Elle repensait à la veille. À l’intérieur tout s’affolait. À l’extérieur tout était froid.

Ils avaient cherché cette chaussure enfouie dans le sable, dans l’obscurité, pendant plus d’une heure. Elle avait dû rentrer de peur d’arriver après lui à la villa. Elle était entrée discrètement par le jardin, avait filé dans la salle de bain, caché l’autre escarpin sous une pile de serviettes et s’était plongée dans un bain pour effacer toute trace de sable. Il l’avait prise en sortant du bain, toute ruisselante et glissante, avec une violence plus douloureuse que d’habitude. Se doutait-il de quelque chose ?

Puis il était retourné travailler après l’avoir serrée avec tendresse. Cette tendresse était encore plus douloureuse. Cette tendresse après la violence qui depuis dix ans l’avait aliénée à cet homme, en avait fait sa chose. Mais aujourd’hui elle était guérie. Il avait suffi d’une caresse sur les cheveux de Cassandre pour que sa dépendance la quitte. Aussi vite que les rats quittent le navire quand il coule. Ses filles ne subiraient pas sa violence…

Il lui fallait cette chaussure.

Elle était retournée sur la plage. Avait déambulé deux heures, transie, l’air de rien, mais l’œil aux aguets. Rien. La mer l’avait-elle emportée puis rejetée plus loin ?

 

Elle était prête. Sa combinaison noire et sa superbe chute de rein au garde à vous dans le salon. Ses escarpins de velours grenat aux pieds. Tellement plus élégants…

Il entra. Glissa son regard sur son corps, jusqu’aux pieds. L’enlaça tendrement. Lui embrassa la nuque caressant son dos dans l’ouverture de son décolleté. Son corps réagissait malgré elle. Mais à l’intérieur la nausée montait.

« Allons-y ».

 

Ce n’était pas la route pour la villa de Biren. Il habitait dans les hauteurs, une villa qui surplombait la mer. Eux allaient vers la plage, à l’opposé. Andrew gara la voiture et vint leur ouvrir. Il descendit et lui tendit la main. Elle fit mine de s’amuser qu’il allait la tuer avec ce froid. Il la serra :

« Te tuer ? J’ai juste besoin de marcher un peu avec toi, comme deux jeunes amants sur la plage… »

Elle minaudait, comme une mauvaise actrice. La nausée qui ne l’avait pas lâchée s’aggravait. Elle ôta ses talons aiguilles et le suivit dans le sable gelé. Elle le cajolait en se blottissant dans ses bras pour se réchauffer. Rien n’aurait pu la réchauffer. Son corps se changeait en marbre, il comprenait avant son esprit tétanisé.

Ils arrivèrent près d’une barque retournée. Vieille, sale, à la coque défoncée. Il alluma la lampe torche de son téléphone et souleva la barque. Elle était là. Posée de manière grotesque à côté de son corps mort. Le corps du consul qui organisait, depuis des mois, leur fuite, à elle et ses filles. L’homme qui devait les sauver…

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